Pauline Maurus : « Avec le nouveau DPE, les contentieux vont émerger autour de la location »

Nous vous en parlions dans le dernier numéro de Dimag (117), avec un dossier sur la jurisprudence, les litiges dans le diagnostic sont monnaie courante et le DPE n’y échappe pas. Ancien DPE, nouveau DPE, DPE 3.0, et surtout opposabilité, Pauline Maurus, avocate au cabinet Huglo Lepage Avocats, revient sur l’évolution des contentieux autour de ce dernier.

Comment avez-vous commencé à travailler autour de la thématique DPE ?

En tant qu’avocate, je travaille depuis longtemps sur les sujets liés à l’énergie, à la fois sur l’efficacité énergétique et sur la production décarbonée de l’énergie… J’ai surtout travaillé sur les CEE, ainsi que les contrats de performance énergétique (CPE) (ces derniers s’appuient d’ailleurs sur la consommation réelle d’énergie des bâtiments contrairement au DPE). Le monde de la performance et de la rénovation énergétique comporte de nombreux outils dont les enjeux sont complémentaires (outils réglementaires, financiers, contractuels, etc), cela m’a amenée au fur et à mesure au DPE. Jusqu’à présent, le contentieux du DPE était assez limité, on pouvait parler de contentieux de niche et il était rare d’obtenir réparation devant la justice puisqu’il n’était pas opposable. Nous recommandions donc rarement aux clients de se lancer dans une procédure. Au sein du cabinet, nous étions peu sollicités à son sujet, mais avec le nouveau DPE, nous anticipons une vague de contentieux avec des chances de succès plus certaines.

Quand tomberont les premières décisions judiciaires pour le nouveau DPE ?

À l’arrivée d’une nouvelle réglementation, les décisions de première instance peuvent venir rapidement, mais on estime qu’il faut 2 à 3 ans d’attente pour avoir une pluralité de jurisprudences exploitables. Le contentieux commence à se stabiliser s’il y a eu des décisions en appel concordantes pour lesquelles il faut environ 3 ou 4 ans et la Cassation arrive après 5 ou 6 ans. Et très souvent, c’est malheureusement à ce moment-là que la réglementation change. C’est pour cela qu’on ne tourne pas la page trop vite et qu’il est nécessaire de se baser sur les anciens contentieux pour en tirer des enseignements à la lumière de la nouvelle réglementation.

Quels nouveaux types de contentieux anticipez-vous ?

Les contentieux vont émerger notamment autour de la location, quand ils ne concernaient que la vente auparavant. Cela va mettre du temps à se développer, car les locataires sont parfois dans des situations délicates, soit financièrement, soit vis-à-vis d’un propriétaire avec lequel ils voudraient conserver une relation cordiale. De manière informelle, ils sont déjà nombreux à nous contacter avec des questions très concrètes : mon logement est très mal isolé, je sens de l’air à travers mes fenêtres, mais mon propriétaire est fermé au dialogue, que dois-je faire ? Les propriétaires qui louent un logement en copropriété s’inquiètent quant à eux que leur locataire se retourne contre eux alors qu’ils ne peuvent pas effectuer des travaux sans le vote de l’assemblée générale par exemple. On leur explique notamment qu’il va falloir vérifier l’application des cas d’exemptions, car il en existe heureusement. Au-delà des situations abusives, il faut réussir à trouver un équilibre entre les intérêts et les capacités des parties en présence. C’est un contentieux où le règlement amiable des différends trouvera une place privilégiée.

Quelles sont les évolutions du côté de la responsabilité des diagnostiqueurs ?

Ils étaient quasiment les seuls pour lesquels la responsabilité était recherchée dans le cadre de l’ancien DPE. Avec le nouveau DPE, les diagnostiqueurs seront plus souvent appelés en garantie par les acteurs de premier plan, les vendeurs et bailleurs et plus seulement dans le cadre d’un contentieux direct. C’est en quelque sorte une opportunité de rééquilibrer cette responsabilité puisqu’elle sera plus diffuse entre les acteurs qui gravitent autour de l’acte de vente et de location (diagnostiqueurs mais également : vendeur, bailleur, agent immobilier, notaire…). En fonction de la situation, la partie lésée ira chercher les acteurs pertinents. Elle a intérêt à ce qu’ils soient nombreux, pour avoir quelqu’un de responsable mais également solvable et généralement, ce sont les professionnels qui le sont le plus. La répartition, in fine, dépendra évidemment de qui a commis la ou les erreurs.

Quels sont les autres changements à noter ?

Pour l’ancien DPE, les indemnisations étaient limitées et calculées au regard de la perte de chance de négocier un meilleur prix ou de renoncer à acheter en connaissance de cause. Avec le DPE opposable, le demandeur peut non seulement poursuivre un nombre d’acteurs plus important, mais également prétendre à une indemnisation plus large de ses préjudices. Pour le moment, on ne peut que faire des hypothèses sur la jurisprudence, mais ce qui est sûr c’est qu’avec la valeur qui est accordée au DPE, la responsabilité et le préjudice seront plus lourds et le montant des indemnités devrait s’accroître. Dans l’exemple d’un DPE classé E alors qu’il aurait dû être en G+, les indemnisations pourraient être appréciées à travers les coûts réels. Si le diagnostiqueur est reconnu responsable, il pourrait être condamné à payer les travaux nécessaires pour atteindre la lettre initialement inscrite sur le premier DPE et/ou la perte des loyers pour des bailleurs qui n’auraient pas pu louer leur logement, ou encore des surcoûts de consommation d’énergie…

On a parlé d’un DPE qui a été surestimé, pourrait-il y avoir également des contentieux pour un DPE sous-estimé, qui aurait donné droit à des aides à la rénovation pour un saut de x classes, par exemple ?

Ce ne sera probablement pas le cœur du contentieux, mais s’il y a vraiment un préjudice, on pourrait en effet l’imaginer pour un DPE trop bien classé. Il y a peut-être des contentieux qui vont émerger de toutes ces politiques publiques assises autour du DPE. Dès qu’il y a de l’argent public, il y a une politique de contrôles. Cela a été le cas des CEE. On pourrait imaginer des contrôles autour des DPE pour s’assurer que les aides ont été données à juste titre ou un organisme public que l’on peut saisir dans le cas de fraudes à la rénovation d’un bien artificiellement valorisé pour profiter des aides.

Vous soulignez les difficultés posées par les cas pour lesquels un ancien DPE est encore valable de façon transitoire…

Oui puisque c’est un DPE fait dans les règles de l’art à l’instant T, pour lequel personne n’est en faute puis à T+1, un nouveau diagnostic pourrait avoir un décalage de classement. Ce qui est recommandé, c’est d’anticiper ces situations et faire établir un nouveau DPE, notamment en cas de vente puisque les enjeux financiers sont très lourds. L’acquéreur pourrait se retrouver dans des situations difficiles, ne plus pouvoir louer son bien, alors que c’était son objectif, par exemple. Le diagnostiqueur ne serait pas responsable si l’ancien DPE a été réalisé dans des règles qui étaient précédemment en vigueur. Éventuellement, l’acquéreur pourrait tenter de se retourner contre son notaire s’il ne lui a pas expliqué ce point au titre de son devoir de conseil.

Quels conseils pourriez-vous donner aux diagnostiqueurs ?

Les diagnostiqueurs doivent bien garder à l’esprit deux éléments préalables : il s’agit de professionnels et ils seront tenus responsables à la hauteur de leur expertise. Ils travaillent avec les propriétaires pour établir les DPE de sorte qu’il faut prendre des précautions particulières avec les informations qui leurs sont données par un tiers. Ce qui est le plus important en termes de responsabilité, c’est l’exactitude des données d’entrée. Les rapports des diagnostiqueurs avec les propriétaires qui peuvent être plus ou moins compétents ou collaboratifs pour leur fournir les informations ne sont pas simples. Il faut que les diagnostiqueurs veillent à fiabiliser ces données au maximum, ce qui peut s’avérer délicat dès lors que ces propriétaires constituent in fine leur clientèle. Ils doivent contrôler tout ce qui est communiqué et en cas de doute, sur une isolation par exemple, il faut engager des démarches pour vérifier. En cas de litige, même une fausse information ne suffirait pas à dédouaner pleinement un diagnostiqueur, dans le cas où l’erreur est grossière. Dans cette situation, le diagnostiqueur pourrait partager la responsabilité avec le propriétaire. Les diagnostiqueurs doivent tracer et noter l’absence d’informations ou leur caractère peu fiable afin de limiter au maximum leur responsabilité. Il y a même des cas pour lesquels il vaut mieux refuser de faire un diagnostic, s’il est évident qu’ils ne sont pas en mesure de le faire dans les règles de l’art.

Les contentieux vont-ils aussi augmenter parce que le DPE a particulièrement mauvaise presse ?

Il faudra faire une distinction importante entre les « vrais » contentieux qui font suite à un diagnostic erroné ou manquant d’une part, et les contestations autour de la fiabilité de cet outil perfectible et de sa méthode qui relève de la responsabilité du législateur. Il ne faut pas oublier que cet outil a le mérite d’exister, et de fixer une règle du jeu applicable de manière universelle, d’embarquer une vague de rénovations énergétiques dans son sillage. Le DPE permet l’évaluation par comparaison, il met tout le monde sur un pied d’égalité, et ce n’est pas un outil d’estimation des consommations réelles. Sur la base de l’ancienne méthode (sur factures), il y avait encore plus de griefs, la réglementation évolue et va vers le mieux. Les diagnostiqueurs doivent appliquer la méthode en vigueur à un moment donné et il faut bien avoir à l’esprit qu’ils ne sont en rien responsables du contenu de cette méthode. Si la méthode évolue, en cas de litige, il faudra pouvoir vérifier qu’ils ont respecté la bonne méthode applicable.

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