Amiante : fragments de clivage, attention danger

décembre 18 15:56 2015

C’était à craindre. Comme souvent en matière d’amiante, plus la connaissance progresse, plus il apparaît nécessaire de durcir la réglementation. Le rapport de l’Anses sur la toxicité des fragments de clivage dévoilé cette semaine, soulève peut-être plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Puisque l’état de la connaissance ne permet pas de statuer précisément sur la dangerosité des fragments de clivage, l’Anses fait prévaloir le principe de précaution : dans le doute, les fragments de clivage seront donc considérés comme dangereux, avec des conséquences qu’on a bien du mal à appréhender à ce jour. Résumé des épisodes précédents pour bien comprendre, et décryptage.

Quel est le problème ?

La question a surgi avec l’explosion des repérages amiante sur les routes, motivée par la circulaire de mai 2013 (notre article). En cherchant l’amiante chrysotile dans les enrobés routiers, espèce utilisée jusqu’au milieu des années 1990, les labos se sont aperçus que les enrobés contenaient également de l’actinolite. A la différence du chrysotile exploité industriellement et utilisé volontairement dans les enrobés pour ses multiples propriétés, l’actinolite se retrouvait là de façon totalement fortuite, puisque le minéral est issu des roches de carrières utilisées pour la réalisation des routes.

Toutefois, seul l’actinolite asbestiforme dit actinolite-amiante, fait partie des six minéraux recensés par la réglementation européenne. Autrement dit, ces effets sanitaires sont bien connus, au même titre que le classique chrysotile. L’actinolite non asbestiforme n’est, a priori, pas considéré comme dangereux.

Pourquoi une expertise ?

Asbestiforme, dangereux ; non asbestiforme, non dangereux. Cela aurait pu être simple, mais c’était sans compter les fragments de clivage. Ces fragments de clivage issus d’actinolite non asbestiforme se présentent comme des particules plus ou moins allongées nées de la contrainte mécanique sur des roches. Souci, on ne sait rien (ou presque rien) de leur dangerosité. Avec les enrobés routiers, la question s’est posée pour l’actinolite, mais elle est apparue tout aussi pertinente pour les quatre autres amphiboles considérés par la réglementation uniquement sous leur forme asbestiforme.

Deuxième problème, et non des moindres, posé par ces fragments de clivage, comment les identifier à coup sûr ? Côté labos, on s’est rendu compte que les résultats étaient parfois discordants, et que les méthodes analytiques utilisées en routine ne permettaient pas toujours de distinguer les fragments de clivages issus de variétés non asbestiformes, des fibres asbestiformes bel et bien dangereuses, elles.

Face aux surcoûts engendrés et aux blocages de chantiers routiers, l’Anses a donc été saisie dès août 2014 à la fois par la DGT (Direction générale du travail), la DGPR (Direction générale de la prévention des risques) et la DGS (Direction générale de la santé).

Que dit l’Anses ?

Annoncé initialement pour septembre, le rapport de l’Anses est finalement tombé mi-décembre. Au regard de la littérature internationale, impossible d’apporter une réponse tranchée. Autrement dit, rien ne dit que les fragments de clivage sont dangereux, mais rien ne dit non plus qu’ils ne présentent aucun risque. Aucune certitude, donc, et davantage encore pour les fibres allongées répondant aux critères dimensionnels de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé). Dans le détail, si des études scientifiques ont montré que les fragments de clivage non allongés étaient moins toxiques -voire pas toxiques-, rien n’a encore été écrit sur les risques d’exposition aux fragments de clivage allongés.

Et au chapitre analytique, les conclusions de l’Anses ne sont guère plus… concluantes. Après avoir passé en revue les moyens analytiques existants (MOLP, META, MEBA), l’Anses indique qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de méthode d’analyse de routine permettant de distinguer formellement les fragments de clivage de leurs homologues asbestiformes. Qu’il s’agisse d’analyse dans les matériaux ou dans les échantillons d’air.

Quelles recommandations ?

Conséquence logique, faute d’une réponse précise, l’Anses applique le principe de précaution. Quitte à revoir la réglementation. Autrement dit, les fragments de clivage issus des cinq amphiboles non asbestiformes (actinolite, anthophyllite, trémolite, grunérite, et riébeckite) ne doivent pas être distingués de leurs homologues asbestiformes quand ils répondent aux critères dimensionnels internationaux (L > 5µm ; D < 3 µm et L/D >3). Les critères dimensionnels sont d’autant plus importants, que le rapport de l’Anses conclut à une dangerosité croissante en fonction de la longueur et du diamètre. On parle de PMA (Particules minérales allongées).

Après avoir épluché les études épidémiologiques sur la question, l’Anses alerte aussi sur un éventuel risque à des expositions à d’autres amphiboles aujourd’hui exclus de la réglementation bornée à six minéraux. Principe de précaution oblige, dans ses recommandations, elle demande donc d’étendre la réglementation actuelle à quatre nouvelles espèces minérales, la winchite, la richtérite, la fluoro-édénite et l’érionite, puisque leurs effets sanitaires seraient identiques.

Quel impact ?

Difficile encore à mesurer, mais ces recommandations auront nécessairement un lourd impact sur la réglementation amiante, si les pouvoirs publics commanditaires du rapport, décident de les mettre en œuvre ; à tous les niveaux de la chaîne amiante, y compris en matière de repérage. Car si l’amiante était d’abord recherché dans des produits manufacturés où il avait été utilisé volontairement, la question des fragments de clivage ouvre de nouveaux champs d’investigations : parce qu’ils sont fortuits, ils peuvent fort bien se trouver dans des produits/matériaux où l’amiante n’est pas systématiquement recherché à ce jour.

Accéder au rapport de l’Anses

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