Erreur de mesurage et loi Carrez : quelques précisions (Marie Letourmy)

Erreur de mesurage et loi Carrez : quelques précisions (Marie Letourmy)
décembre 02 11:39 2016
Marie Letourmy est avocate au sein du cabinet Cornet Vincent Segurel, bureau de Lille, département droit immobilier

Marie Letourmy est avocate au sein du cabinet Cornet Vincent Segurel, bureau de Lille, département droit immobilier.

L’acquéreur d’un lot en copropriété peut, lorsque la superficie de la partie privative acquise est  inférieure de plus d’1/20e  à celle mentionnée dans l’acte, intenter une action en diminution du prix à l’égard du vendeur, conformément aux dispositions de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965. Il a également la possibilité de solliciter l’indemnisation des préjudices annexes auprès des professionnels ayant concouru à l’opération : agent immobilier, diagnostiqueur ayant procédé au mesurage, notaire…

Sur cette thématique, la troisième chambre civile de la Cour de la cassation vient de rendre un arrêt en date du 2 juin 2016 qui doit retenir l’attention de par sa motivation particulièrement étoffée et les précisions qu’il apporte sur :

  • la nature du délai pour agir en diminution du prix de vente et ses conséquences,
  • les conditions d’appréciation de la faute de l’agent immobilier,
  • le préjudice imputable à l’auteur du mesurage erroné.

En l’espèce, les faits étaient les suivants. Un acquéreur, ayant fait l’acquisition d’un appartement soumis au statut de la copropriété, s’était ultérieurement aperçu, après nouveau mesurage, que la superficie de son lot était inférieure de plus d’1/20e à celle mentionnée dans le diagnostic (105 m2 au lieu des 131 m2 indiqués). Il assigne donc les vendeurs en référé aux fins d’expertise selon assignation des 24 et 29 juin 2010.

Une ordonnance du 7 octobre 2010 désigne un expert aux fins de procéder au mesurage du bien. Le rapport déposé le 8 février 2011 confirme cet état de fait puisqu’il retient une superficie de 104 m2. L’acquéreur se retourne alors contre les vendeurs en diminution du prix et contre la société de mesurage et l’agent immobilier en dommages intérêts, selon assignation au fond du 11 octobre 2011.

Il est cependant débouté par la Cour d’appel de Paris qui considère l’action en diminution prix forclose et rejette les demandes d’indemnisation formulées. L’acquéreur se pourvoit en cassation.

L’affirmation d’un délai de forclusion insusceptible de suspension

Aux termes du premier moyen de son pourvoi, l’acquéreur soutenait que, contrairement à la position adoptée par la cour d’appel, le délai d’un an mentionné à l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965 était un délai de prescription et non de forclusion et qu’il n’était en conséquence pas prescrit.

Il ajoutait que, dans l’hypothèse même où le délai serait un délai de forclusion, il aurait été suspendu en raison de la mesure d’instruction ordonnée et n’aurait recommencé à courir qu’à compter du jour où la mesure aurait été exécutée, pour une période qui ne pouvait être inférieure à 6 mois, conformément à l’article 2239 du Code civil.

Cependant, la Cour de cassation affirme « que le délai d’un an prévu par le dernier alinéa de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965 est un délai de forclusion et que la suspension de la prescription prévue par l’article 2239 du code civil n’est pas applicable au délai de forclusion ». Une telle solution ne surprend guère mais a le mérite de poser clairement les choses. En effet, l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965 mentionne que le délai d’un an est prévu à peine de déchéance.

Par ailleurs, la Haute Juridiction avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’inapplicabilité de la suspension de la prescription prévue par l’article 2239 du Code civil au délai de forclusion  (Cass. 3ème civ., 3 juin 2015, n°14-15.796 : solution retenue en matière de vente d’immeuble à construire sur le fondement des articles 1642-1 et 1648 du Code civil).

Certains acquéreurs, afin de tenter de contourner le couperet que peut parfois constituer le délai de forclusion de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965, ont imaginé invoquer d’autres fondements, et notamment l’obligation de délivrance conforme visée à l’article 1604 du Code civil.

Néanmoins, la Cour de cassation reste sourde à de telles tentatives et affirme avec force que « lorsque l’acquéreur d’un lot de copropriété agit contre le vendeur en invoquant un déficit de superficie, son action est régie exclusivement par les dispositions de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965 ». (Cass. Civ. 3e, 26 nov. 2015, n°14-14.778).

Il convient donc d’insister sur la réactivité dont les acquéreurs doivent faire preuve en pareille hypothèse.

L’absence de faute de l’agent immobilier

L’acquéreur se voit ensuite débouté de son action en dommages et intérêts à l’égard de l’agent immobilier au motif que celui-ci « n’avait pas effectué le mesurage, qu’il ne disposait d’aucune compétence particulière en cette matière pour apprécier l’exactitude des informations fournies et qu’il n’avait pas à vérifier le mesurage effectué par un professionnel ». Ainsi, et hormis l’hypothèse où l’agent immobilier procède lui-même au mesurage, aucune faute n’est susceptible d’être caractérisée à son encontre.

A notre sens, cette position pourrait cependant être nuancée au regard d’une décision déjà rendue à l’égard d’un notaire. En effet, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel pour n’avoir pas recherché « si, au vu des documents qui lui avaient été communiqués, le notaire n’avait pas disposé d’éléments de nature à le faire douter de l’exactitude des surfaces déclarées par la société venderesse ». ( Cass. 3ème civ., 25 mars 2010, n°09-66.282 ).

Mais encore faut-il que l’acquéreur soit en mesure d’apporter la preuve d’informations connues de l’agent immobilier et de nature à attirer son attention sur le caractère erroné du mesurage mentionné…

La réparation due par le diagnostiqueur, auteur du mesurage

La Cour de cassation censure ici la juridiction d’appel qui, bien qu’ayant retenu le principe d’un préjudice lié aux frais bancaires supplémentaires exposés, avait rejeté la demande formulée à ce titre au motif qu’elle était prématurée et ne pouvait être établie avant le remboursement anticipé partiel du prêt par l’acquéreur.

La Haute Juridiction retient en effet que « le préjudice, bien que futur, était certain ».

De la même manière, elle fait grief à la cour d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions selon lesquelles le surcoût des frais de commission d’agence constituait bien un préjudice induit par l’erreur de mesurage dès lors que la commission était proportionnelle au prix de vente.

Il convient de rappeler que la Cour de cassation  n’a eu de cesse d’affirmer que la restitution du prix de vente ne constituait pas en soi un préjudice indemnisable (Cass. 3ème civ., 4 janv. 2006, n°04-15.922) et ne pouvait donc donner lieu à une garantie du vendeur par le diagnostiqueur ni à une condamnation in solidum de ces deux derniers au profit de l’acquéreur.

Cependant, elle infléchit depuis quelque temps sa position en retenant d’autres postes de préjudice, différents de la réduction du prix, susceptibles d’être indemnisés.

Ainsi en est-il des frais bancaires payés indûment ou des frais de commission supplémentaires en raison de l’erreur de mesurage comme tel est le cas en l’espèce. On peut également penser au surcoût des frais de notaire, au préjudice financier lié à l’absence de placement, et donc de rentabilité, du supplément de prix versé indûment au vendeur pendant une certaine durée…

La Cour de cassation retient également la perte de chance pour le vendeur de vendre le bien au même prix, ce dernier n’étant pas uniquement déterminé en fonction de la superficie (Cass. 3ème civ., 28 janv. 2015, n°13-27.397).

A l’aune des décisions rendues dernièrement s’agissant d’erreur de diagnostic, spécifiquement en matière de termites (Cass. ch.mixte., 8 juillet 2015, n°13-26.686) et d’amiante (Cass. , 3ème civ., 19 mai 2016, n°15-12408), et qui retiennent une indemnisation intégrale du préjudice constitué notamment par le coût de l’intégralité des travaux de décontamination nécessaires, il est permis de s’interroger sur une possible évolution vers la prise en charge du surcoût du prix du vente.

Cependant, une telle extension de l’appréhension du préjudice réparable ne semble pas d’actualité et surtout ne serait pas véritablement fondée.

En effet, si dans le cas d’une erreur de mesurage, il n’est nullement acquis que l’acquéreur aurait véritablement obtenu une diminution du prix, tant il est vrai que d’autres facteurs essentiels rentrent en ligne de compte dans la fixation du prix, il est en revanche plus que probable que l’acquéreur, dans l’hypothèse de la présence de termites ou d’amiante nécessitant des travaux de reprise importants, aurait obtenu une diminution du prix.

Cass. 3ème civ., 2 juin 2016, n° 15-16.967,664

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